Situer Marx dans une possible tradition critique qui aurait été ouverte par la théorie de la « servitude volontaire » chez La Boétie est un exercice périlleux. En effet, il n’y a pas chez Marx de théorie de la servitude volontaire, mais, plus fondamentalement, on ne trouve pas à proprement parler chez lui de conceptualisation de la contribution de la volonté subjective à la domination, ni de concentration particulière sur le terme de servitude, qui permettrait d’asseoir une telle théorie. Chez Marx, à la suite de Hegel, quoique selon des modalités diverses chez l’un et l’autre et, même chez Marx, selon les périodes de son évolution, il n’est pas question d’un être humain doté d’affects préalables aux formes sociales organisant son existence, formes sociales qui auraient à réguler ces affects ou bien qui les instrumentaliseraient et s’en nourriraient – par exemple sous la forme d’une servitude volontaire. Le rapport entre individus humains et forme de vie collective est bien plutôt conçu dans le cadre de philosophies de l’histoire où la question n’est pas celle de la soumission des individus aux normes de chaque époque, mais d’une constitution conjointe et corollaire des individus et de leurs formes sociales d’existence. Ces individus et formes collectives et institutionnelles ne sont pas pensés comme extérieurs et participent toujours d’un même esprit du temps. Un tel cadre historico-philosophique, par-delà ses variations, explique que la question de la subjectivité, pas plus que celle du consentement du sujet aux formes sociales de son existence – éventuellement oppressives –, ne soit pas déterminante dans le corpus marxien.