Une approche à la croisée de l’histoire de la poésie, de l’histoire du livre et de l’histoire sociale de la littérature permet d'examiner pourquoi le matériel d'écriture a été érigé en objet digne de poésie dans les années 1550-1570. Un extrait du livre V de la Sepmaine de Guillaume Du Bartas (1578) amène à faire l'hypothèse que, pour un poète comme lui, non seulement le poète est un artisan (qui emprunte ses outils à la nature mais aussi qui enquête sur l'écriture du livre de la création par des instruments et supports naturels - tels que le calmar, véritable écritoire équipée) mais aussi que l'artisan est un poète. Cette proposition permet de mieux attribuer l'écriture de poèmes à différents maîtres écrivains parisiens au milieu du 16e siècle, en tant qu'ils sont des spécialistes de la copie et pas seulement des pédagogues du geste graphique, ce qu'ils sont aussi. Nous avons examiné les quatrains de secrets de l'art d'écriture chez Pierre Habert, qui ne se dit alors plus maître d'écriture mais les publie (1571) au moment (1570) où la communauté parisienne vient d'obtenir deux privilèges importants, le monopole de l'enseignement et de l'authentification judiciaires des graphies. Pierre Habert adapte en fait un cycle de vers publiés par l'écrivain Jean Le Moyne en 1556. Ce recueil antérieur lui attribue des poèmes de savoirs allant de l'artisanat de l'écriture à l'objet livre, dont la plupart ne sont en réalité pas non plus de lui, mais de François Habert, déjà paru sous le nom de ce dernier chez le même imprimeur la même année. Ces opérations éditoriales invitent à voir comment l'apprentissage de l'écriture est une école du geste et du tact, un apprentissage de la propreté et de la civilité, allant même jusqu'à l'honnêteté. Elles montrent aussi comment le maître écrivain reste placé au coeur d'une pensée des Lettres en régime imprimé et comment son activité matérielle a laissé une empreinte dans le lexique littéraire en formation (avec les mots d'écrivain, d'écriture, de style, etc.)